Muetse-Destinée Mboga est une écrivaine gabonaise.
Une âme aux enchères est un roman de société qui traite de la corruption de l’âme et du triomphe de la cupidité. L’histoire se déroule au Gabon dans la ville de Libreville. L’auteure s’adresse aux jeunes, mais aussi aux adultes qui pervertissent leur âme pour satisfaire des besoins matériels. Elle veut faire comprendre aux uns et aux autres que la loi du moindre effort et le manque de patience peuvent détruire l'être entier et anéantir les rêves de jeunesse.
Une âme aux enchères : Un titre très révélateur qui correspond à l’expression « vendre ou donner son âme au diable ». Il signifie que l’on conclut un pacte avec le diable afin qu’il nous accorde quelques privilèges durant notre passage ici sur terre. Dans le roman de Destinée Mboga, cela est très visible car Antoine coachée par Paulette Iwenga, sa belle-mère, laissera corrompre son âme pour acquérir la science infuse, pour accéder aux plus grands postes politiques, pour rester jeune et pour obtenir une puissance surnaturelle… Tout cela en échange de la condamnation de son âme. Dans un certain sens, vendre son âme c’est aussi aliéner sa liberté, sa dignité en échange de quelque chose.
Insatisfaction et cupidité : Tels sont les aspects que Destinée Mboga développe dans son roman pour montrer comment l’homme, même le plus sérieux du monde peut laisser corrompre son âme pour des honneurs très aléatoires.
Issu d’une bonne famille, Antoine tombe amoureux de Jocelyne Ingueza. Leur amour est si grand que Jocelyne prend le risque de s’unir à lui sans préservatif. Elle tombe enceinte et se sent heureuse de porter cette vie en elle. Antoine est heureux d’apprendre cette nouvelle. La seule crainte de Jocelyne c’est la réaction de sa mère Paulette, une femme redoutable et intéressée jusqu’au bout des ongles.
Paulette Iwenga est le prototype de la femme arriviste, complexée qui ne veut pas travailler mais espère vivre dans le luxe le plus insolent qui soit. Pour cela, elle est capable de tuer.
Un peu dans le style de Guy dans Cars dans son roman, « Le château de la juive », Destinée Mboga montre comment Paulette Iwenga veut se venger de l’homme qui l’a mise enceinte; elle veut se venger contre la richesse et la pauvreté; elle veut se venger de tout le monde. En somme, elle veut prendre sa revanche sur la vie qui ne lui a pas fait cadeau. Aussi, lorsque sa fille Jocelyne lui annonce qu’elle enceinte d’un homme qui a des liens avec la famille présidentielle, elle est convaincue que si sa fille, qu’elle prostitue discrètement, épouse cet homme, elle atteindra son objectif, elle deviendra riche et sera à l’abri du besoin jusqu’à la fin de sa vie. Elle pousse sa fille Jocelyne dans la gueule du loup.
Le neveu du président ? C’était plus que Paulette n’avait espéré. Elle avait toujours rêvé d’être riche et de faire partie de la haute société, de ces grandes familles du Pays de l’Okoumé. Aujourd’hui elle était assez riche par la seule beauté de son unique fille, et si elle manœuvrait bien, elle pourrait enfin entrer dans la cour des grands, au sein de cette grande famille qu’on appelait la « famille présidentielle »
Jocelyne n’est pas seulement belle et séduisante, mais elle a aussi un bon niveau scolaire, parce que même si son père, un Italien de passage, ne l'a jamais reconnue comme son enfant, sa mère Paulette lui a donné l’éducation nécessaire pour qu’elle ne souffre d’aucun complexe et qu’elle honore sa peau de métisse. Naïve, elle se fie beaucoup à sa mère et a une confiance inébranlable en elle. Seulement, elle ignore que celle qui dit avoir « tout sous contrôle » n’est qu’une manipulatrice et une calculatrice sans moralité qui compte bien l’utiliser.
Les filles métisses étaient particulièrement appréciées par les hommes riches, Paulette destinait donc sa fille à ce destin. C’était devenu le but de sa vie, au-delà même du désir d’être riche, c’était une vengeance que la mère de Jocelyne comptait prendre sur la vie.
Mère et fille arrangent un plan pour soumettre le bel Antoine. Ce dernier se présente auprès de la mère de son épouse qui lui impose, obliquement, d’épouser sa fille. Malheureusement, le premier obstacle que Jocelyne rencontre c’est l’oncle de son époux, Albert Ombouma. Ce dernier, un grand homme du pays avait été l’un des amants de Jocelyne à l’époque. Il a gardé de cette relation un meilleur souvenir tant Jocelyne lui « avait fait tourner la tête et chamboulé les sens ». Il décide de la faire chanter et d’empêcher le mariage Jocelyne auprès de son neveu si elle ne se résout pas à lui faire revivre l’expérience sensuelle de jadis.
Conseillée par sa mère, quelques jours avant son mariage et même après, Jocelyne pose déjà des actes d’infidélité. Cependant l’homme étant un éternel insatisfait, Albert Ombouma en veut toujours plus. Agacée, Paulette Iwenga concocte une mixture qui servira à éliminer le bel oncle de sa fille. C’est ainsi que Jocelyne sera libérée pour un temps seulement.
Désormais mère de deux enfants, Jocelyne s’occupe de sa progéniture et de son époux avec beaucoup de grâce. D’un autre côté, les ambitions politiques d’Antoine commencent par se faire sentir quand Paulette Iwenga rêve désormais d’un nouveau statut : Belle-mère de Ministre de la République. Après avoir gravi quelques échelons timides au niveau de son emploi, Antoine envisage d’aller un peu plus loin.
Ce sera le début d’une histoire que seule la mort pourra arrêter : Antoine intègre une secte qui lui propose plusieurs pactes : que six de ses collègues couchent avec son épouse à tour de rôle durant une nuit. Ensuite ce sera le sacrifice d’un enfant. Viendront la copulation avec sa mère et les crimes rituels. Encouragée par son épouse et par sa belle-mère, Antoine n’a plus aucun sens moral jusqu’à ce que les difficultés vont commencer par se manifester. Éternel insatisfait il veut toujours plus, ce qui entraine de plus un plus un vide humain au fond de son âme.
Que va-t-il se passer en fin de compte ?
Muetse-Destinée Mboga est une auteure qui écrit sur des thèmes sociétaux parce qu’elle veut interpeller les jeunes et la société sur certaines questions. À partir d'une écriture fluide, vive, acérée et franche, Elle touche en plein coeur les multiples situations mystico-naturelles et socio-politiques qui minent les sociétés actuelles
Le personnage de Paulette Iwenga est à la fois attachant et décalant. On en vient à se demander si dans la réalité des telles personnes avec de telles pensées existent. Paulette Iwenga est attachante parce qu’elle est une parfaite actrice qui use de son influence et de sa position de belle-mère pour manipuler, influencer, inspirer du respect pour obtenir l’objet de son désir. Alors qu’elle prétend ne faire tout cela que pour protéger sa fille, elle est en réalité une égoïste qui sacrifie l’avenir des autres pour son propre bonheur temporel. Comme va le démontrer l’auteure, elle ira jusqu’à encourager des incestes et finira par coucher avec le mari de sa fille. Antoine qui n’est pas un naïf en réalité profitera énormément et avec avidité des atouts de la belle-mère pour détruire son couple.
Quel type de femme est donc Paulette Iwenga ? Marie-Madeleine ? La femme adultère ? Personne ne le saura puisque jusqu’à la fin, elle ne présente pas de signe de future convertie.
Paulette Iwenga est décalante parce qu’elle ne possède aucune âme, elle est calculatrice, froide, orgueilleuse, sans idéaux et sans pitié. Seul l’argent l’intéresse.
Quand on a fini de lire ce roman on se demande si dans la vie, on est obligé de passer par tout ce désordre pour pouvoir jouir de la vie ? La conception du bonheur en elle-même se repose-t-elle essentiellement sur une richesse insolente, exclusive et répugnante ? Si c’est pour finir dans un cercle infernal et dans le vide existentiel, à quoi bon devenir riche ? Telles sont des questions que doivent se poser les jeunes, les éducateurs et les parents aujourd’hui pour ne pas se retrouver dans le chemin du non retour et du non recours.
Jocelyne, est-elle une naïve manipulée ou encore une parvenue comme sa mère ? Ses regrets de la dernière heure ont-ils une importance ? Et sa mère ? Nulle part dans le roman, elle ne se remet en cause comme si tout ce qu’elle faisait était normal : détruire tout sur son passage, humilier ses sœurs de sang, trahir sa fille, pousser son petit-fils dans la gueule du loup.
Mon avis : Je recommande ce roman à tout amoureux de la lecture, mais spécifiquement aux jeunes, notamment les jeunes filles qui se focalisent souvent sur leur beauté pour espérer quelques faveurs sociales.
Nathasha Pemba
Références,
Muetse-Destinée Mboga, Une âme aux enchères, Rungis, La Doxa Éditions, 2016, 15 euros (10.000 cfa)