
- Bonjour Jussy, comment vas-tu ?
Assez bien, je dois le dire puisque nous sommes en janvier et que c'est, d'ordinaire, pour moi, une belle période - et je n'y réfère pas parce que c'est le mois de mon anniversaire (rires). Disons que c'est rituellement mon mois de transition et d'accalmie, où je prends habituellement le temps de poser les choses et d'envisager les chantiers auxquels m'atteler.
- Peux-tu nous parler de toi ?
En quelques dates - je dirai : je suis née le 31 janvier 1989, à Brazzaville, où j'ai fréquenté plusieurs écoles primaires mais si je ne devais en citer qu’une, ce serait assurément l'Académie Stanislas Gabou Kilolo. J'en garde de très bons souvenirs et une graphie reconnaissable. En 2000, l'ombre de la guerre civile m'a poussé sur les terres de France. Le 3 décembre 2003, a été une date déterminante dans mon jeune parcours, j'ai cristallisé le désir d'écrire avec, pour la première fois, la perspective de publier. Mars 2016 a été l’année de parution du premier roman chez Présence Africaine. Que dire de plus ? J'ai appris à être un lecteur passionné et très assidu. Et cet amour des mots m'a, naturellement, mené vers des études littéraires pendant le secondaire puis des études supérieures en Lettres Modernes et en Art dramatique. Curieux de tout et insatiable, je souhaiterais finaliser un master en sciences politiques.
- D'où t'es venue la passion pour l'écriture ?
Tout est née d'un grand désir de lecture. J'ai été un très gros dévoreur de livres pendant l'adolescence. J'ai d'ailleurs développé une préférence pour l'Héroic Fantasy (genre littéraire qui convoque les créatures mythologiques, la féerie, l'aventure) avant de me tourner vers la littérature générale et de revenir aux classiques. Ces lectures ont participé à l'élaboration de mon désir d'écriture. Enfant, j'ai eu la chance de développer une forme d'enthousiasme quasi religieux à l'égard des écrivains pour leur capacité à susciter des univers poétiques et rassembler les imaginaires. Du jour où j'ai expérimenté le fait qu'un personnage fictif d'encre et de papier pouvait avoir une importance capitale et, parfois même, impacter la trajectoire d'un être de chair et de sang, en inspirant des projets de vie, de l'engagement humanitaire, social, philosophique, social et même politique - j'ai voulu écrire. Et j'ai pris la plume, pour faire rire, sourire, grimacer, agacer, pleurer, espérer. Partager, en somme.
- Est-ce que lire conduit forcément à l'écriture avec le temps ?
J'aime à penser que la lecture est une des voies pour arriver à l'écriture. Certains diront que c'est la voie royale. Il est vrai que plus on lit, plus on en veut. Et l'écriture peut jaillir de ce curieux appétit. Pour moi, ça a été le cas. Mais chaque trajectoire humaine étant différente, chaque itinérance étant particulière, je dirai avec réserve que lire est un facteur qui favorise grandement le désir d'écrire. On devient très souvent auteur parce qu'on a été lecteur.
- Parle-nous de ton premier roman...
Quand tombent les lumières du crépuscule... est mon premier roman publié. Mais c'est le 4ème roman dans l'ordre chronologique des chantiers d'écriture achevés. C'est l'histoire d'un personnage en perte de repère, tiraillé entre deux eaux (la Seine et le Fleuve Congo), entre deux continents (l'Afrique et l'Europe), entre deux époques (le présent et le passé). Cette perte de repères est exacerbée par la mort de son grand-père. Et faire le deuil de ce dernier apparaît alors comme l'ultime tentative de faire naître le jour d'avoir la vie devant soi et de ne plus traverser la nuit de la foi, la nuit de l'identité, la nuit de la mémoire, une nuit hantée par les fantômes de la guerre civile et les différents affres de l'abandon. Le roman s'ancre dans la croyance africaine selon laquelle les morts ne sont pas morts (Birago Diop) et ces mêmes morts participent activement au présent des vivants. Le personnage marche sur un chemin au bout duquel il est question de (re) naître à soi.
- Quelles sont tes sources d'inspiration ?
Victime de la curiosité, je pense que je puise mon inspiration de tout ce qui fait la vie. J’ai appris à être attentif aux petites choses de l’existence et j’aime à penser que c’est bien d’elles que puise l’inspiration. La famille est aussi une source inépuisable d’inspiration. Les enfants le sont aussi. J’ai la chance d’évoluer au quotidien dans un univers professionnel qui s’attache à l’édification citoyenne des enfants (le Conseil Municipal des Enfants de la ville de Créteil) dans la perspective de parfaire leur engagement et en faire des acteurs de la ville d’aujourd’hui et de demain, et là encore cette proximité me stimule et m’inspire beaucoup. Les écrivains, les artistes, les œuvres musicales, cinématographiques, photographiques et les livres aussi sont une source d’inspiration, ils font naître d’autres livres.
- Le théâtre t'intéresse également ...
Enormément. L’épreuve de la scène et l’apprentissage de l’école du spectateur ont indéniablement participé à la naissance du jeune auteur que je suis. J’ai bien envie de reprendre, à la suite du metteur en scène français Yves Beaunesne, que « le désir de théâtre ne connait jamais la nuit ». C’est une pratique qui m’a permis d’expérimenter tous les possibles « jeux du je ». Se saisir de la parole d’un personnage et faire vivre ce dernier le temps d’une représentation reste une chose qui m’m’émeut. Et si le théâtre peut avoir une dimension cathartique, en ce qu’il m’a permis de conjurer les fantômes d’un passé parfois encombrant, il est aussi très vivant. En y pensant sa dénomination d’art vivant fait complètement sens. Le théâtre m’a permis de continuer à de continuer à vivre, à rêver, à créer. Et il continue. Ce premier roman est d’ailleurs dédicacé à la mémoire de Jean-Luc Lagarce : un dramaturge contemporain que j’ai eu la chance de découvrir au lycée et dont l’écriture est faite de tâtonnements de la mémoire et de recherches d’exactitudes. La voix de la Jean-Luc Lagarce m’a beaucoup soutenu et aidé à aller un peu plus loin sur le chemin de l’écriture.
- As-tu fais tes études en fonction de tes passions ?
J’ai là encore eu la chance d’évoluer, d’un point de vue scolaire, sur un terrain que j’affectionne et qui m’a permis de lier, assez naturellement, passion et études. On va dire que j’ai fait – sans l’avoir trop cherché - ce qui m’a plu.
- Que représente la passion pour toi ?
Je serai bien présomptueux d’en proposer une définition. Je ne peux répondre qu’à ma petite échelle : c’est pour moi la petite part qui fera toujours écho à ce qu’il reste de notre enfance. La passion est ce qui lance, ou du moins, ce qui devrait toujours nous lancer en avant, au-devant du monde. C’est cette petite musique que le vacarme du monde et les compromissions de l’âge adulte tenteront toujours de faire vasciller et d’altérer. Il va s’en dire qu’il revient à chacun de l’écouter, de la faire résonner et de la faire vivre. C’est l’étincelle qui peut, quand elle est nourrie, éclairer l’obscurité.

- Tu es lauréat de la 1ère édition du prix du premier roman Sylvain Bemba 2018, un mot à dire...
Je suis trois fois reconnaissant au jury pour sa bienveillance de regard à l’égard du roman Quand tombent les lumières du crépuscule… L’initiative de ce prix est très louable. Il permet de mettre en lumière une figure incontournable de la culture livresque congolaise. Sylvain Bemba a été, pour un temps, le soleil autour duquel ont gravité des auteurs-planètes de la littérature congolaise. Il conserve cette image de rassembleur de talents, toujours à l’écoute et affable de conseils pour guider les auteurs qui émergeaient alors. D’autre part, ce prix adressé à des primo-romanciers permet à chaque participant de découvrir la grande fratrie des auteurs du bassin du Congo. Enfin, je remercie le jury qui permet de rassembler sur le lointain rivage des ombres, Sylvain Bemba et Michel Kiyindou, qui entretenait une amitié et partageait un voisinage commun.
- D'autres projets littéraires en vue ?
Oui, le petit serpent noir de mon écriture continue à dessiner son chemin. Un roman, « Des Ombres. Et leurs échos. » est actuellement sur le bureau des éditeurs. Je vais ouvrir à partir du mois d’avril un nouveau chantier romanesque. Il est aussi question cette année 2018 de lancer mon site internet baptisé « ALOHOMORA » (ndlr nom d’un sortilège de l’univers de Harry Potter qui permet d’ouvrir les portes) et d’y présenter une série de court-métrages qui inscrivent la littérature dans le quotidien.
- Un message à l'endroit des jeunes passionnés de la littérature.
Bien long et laborieux peut parfois paraitre le chemin qui mène de l’écriture à la publication, il ne faut donc désespérer de rien. Le seul message dont je puis me faire passeur est celui que j’ai, moi-même, un jour, reçu de la part de Jean-Philippe Arrou-Vignod, un écrivain que j’affectionne beaucoup et qui m’a accompagné pendant un projet. C’est un message que j’ai reçu comme une véritable profession de foi : « ne jamais préférer le beau style au style juste. Continuez à lire les grands, mais écrivez vos histoires à vous, celles dont vous êtes le plus proche, avec vos mots, sans tenter de rivaliser avec eux. Chaque homme à son territoire intérieur, et c’est dans ce terreau singulier qu’il doit puiser s’il veut espérer, un jour, parler au plus grand nombre. Construisez donc vos univers personnels, et c’est en nous en parlant simplement, à votre façon unique, que vous trouverez votre voie et le bonheur qui va avec. ». En somme, il faut continuer à lire et à faire couler beaucoup d’encre !
Propos Recueilli par Juvénale Obili, Bloggeuse pour le compte du Sanctuaire de la Culture