Je n'ai jamais lu les œuvres de Denis Monette, un écrivain québécois très célèbre. La veuve du boulanger est donc la première que je lis. Mais qu'est-ce qui est important dans une lecture? N'est-ce pas que l'auteur parte à la rencontre de ses lecteurs et que tout en touchant leur sensibilité, il réussisse à leur livrer un message?
Je dirais plutôt que sur ce coup là ! Denis a réussi son coup. Du moins à mon niveau. J'ai beaucoup aimé ce livre. La première des choses qui m'a attiré c'est le résumé de l'histoire inscrit sur la quatrième de couverture:
"Gervaise, veuve à vingt-deux ans d'Auguste Mirette, le boulanger du quartier, rencontre par un curieux hasard Nicolas Delval, un avocat de renom, qui s'en éprend dès qu'il l'aperçoit tellement sa beauté le chavire. Empressé, il fait tout pour la revoir. Puis, follement amoureux, il en informe sa famille de Westmount. Ses parents comme ses deux sœurs sont offensés de le voir fréquenter une veuve d'un quartier populaire. Faisant fi de leurs commentaires, Nicolas épouse secrètement Gervaise et tente de l'intégrer au sein de la bourgeoisie dont il fait partie. Mais la jeune femme est mal acceptée par cette famille qui la regarde de haut, surtout Charlotte et Josiane, ses belles-sœurs, qui la méprisent et la rejettent dès son arrivée. Le temps passe, l'amour semble résister à toutes les embûches, jusqu'à ce que le couple en vienne à se détruire. Gervaise, de nouveau seule, s'engage alors dans un chemin qui la conduira elle ne sait où… Dans les bras de Jean-René, le neveu de son mari ? Ou dans ceux d'un autre ? Ce qu'elle ne cherche pourtant pas, se contentant de l'amour de sa propre famille et de son travail pour noyer ses déboires. Mais le destin, une fois de plus, en décide autrement…"
C'est une histoire d'amour, me suis-je dit. Je vais la lire parce que j'aime les histoires d'amour. Au début on voit Nicolas qui supplie presque le coiffeur pour le faire rencontrer Gervaise, cette fille de la populace et de la basse classe.
En effet, que ne peut donc pas un homme amoureux ou bien qui croit l'être? Un amour fou, une rencontre entre un riche et une pauvre des bas quartiers. Ces histoires comme on les aime. Une belle histoire en somme, celle où chaque fille amoureuse et aimante se retrouve en quelque sorte dans la peau de Cendrillon. Gervaise rêve.
Qu'y a t-il de plus heureux que de trouver l'amour, après cinq années de veuvage? Néanmoins si cette histoire d’amour est une histoire comme on en lit souvent, celle-ci à la particularité d’être unique. Comme toutes les autres d’ailleurs. Avec cette rencontre entre ces deux personnes, un autre tableau va se dessiner. Celui de la classe sociale.
La lectrice que je suis, est conquise par la manière dont l’auteur se dépêtre pour essayer de rester fidèle à son thème sur l’amour. Ce sera bien difficile de réussir un tel pacte, car même si l’amour souvent est mis sur un piédestal, quand le cœur n’y est vraiment pas, on ne pourra même pas dire qu’il y a été une seule fois. Et voilà que l’auteur va nous ramener dans les bas fonds des réalités qui ont prévalu dans le Québec des années 50. Cette division radicale entre les différentes classes. Réalité qui reste encore bien présente aujourd’hui non plus entre originaires, mais entre Originaux et falsifiés...Cette réalité de nos différences.
En effet, même si Nicolas jure au fond de lui qu'il aimera éternellement Gervaise et l'imposera à sa famille si riche et si distinguée, les choses vont paraître bien compliquées. Il le sait pourtant. Et il sait aussi du fond de son cœur qu’il ne pourra jamais avoir des considérations heureuses pour la famille de Gervaise. Mais se croyant amoureux… Il va oser…
S’ensuivra une liste de mépris qui finiront par décourager Gervaise. « Oui j’ai épousé un snob », pensera-t-elle.
Le premier mépris de Nicolas : le quartier et la famille de Gervaise.
« Nicolas, au volant de sa voiture, pensait intérieurement qu’il lui fallait sortir Gervaise de cette maison infâme. Quel milieu que le sien ! Quelle famille ! La mère, quasi édentée, et Rita, sa sœur, qui dégageait une odeur de « non lavée ». Il fallait absolument que sa « princesse » s’élève au-dessus de cette masse qui le répugnait. Elle était trop belle pour appartenir à cette basse classe qu’était la sienne. »
Le deuxième mépris de Nicolas : le prénom de Gervaise
« (…) Sortant un calepin et un stylo de sa poche, il lui dit : -J’ai quelque chose de très personnel te concernant à te demander. Il est possible que ça ne te plaise pas, mais c’est si important pour moi. Surprise, elle but une gorgée et répliqua : -Alors, vas-y, je t’écoute, mon chéri. -Dis-moi, Gervaise, quels sont les autres prénoms de ta naissance inscrits sur ton baptistère ? -Quelle drôle de question ! Attends, j’ai été baptisée Marie, Catherine, Gervaise Huette. Pourquoi ? -Qui est Catherine dont tu portes le prénom ? -Ma marraine. Une sœur de mon père que je ne vois presque plus. -Et pourquoi t’avoir appelé Gervaise ? -C’est le prénom de ma grand-mère paternelle, une coutume dans la famille. Rita, elle porte le nom de ma grand-mère maternelle. -Dis-moi, quel est le nom de fille complet de ta mère ? -Bien voyons, pourquoi toutes ces questions, Nicolas ? -Ne t’en fais pas, je le dirai dans pas plus de cinq minutes si je trouve… -Bien ma mère a été baptisée Marie, Georgette, Berthe Boisseau. Il sourit et demanda : -Boisseau c’est bien son nom de jeune fille ? -Oui, pourquoi ? -M’aimes-tu assez pour me faire plaisir mon amour ? M’aimes-tu assez pour accepter ce que je vais te demander ? -Bien, demande toujours…Je verrai si je t’aime assez pour ça ! Ajouta-t-elle en riant de bon cœur. -Alors, ma chérie, à partir de ce soir, si tu le veux bien, tu seras Catherine Boisseau, pour moi comme pour ma famille. Elle était restée bouche bée. Ne comprenant pas où il voulait en venir, elle croyait qu’il plaisantait, qu’il s’amusait à ses dépens et se permit d’en sourire. -Je suis très sérieux, Catherine, je te demande de modifier ton nom si tu le veux bien. Catherine Boisseau a tellement de classe…" Dans un éclair la jeune femme venait de comprendre. Il lui demandait de modifier son nom pour sa famille, parce que ce matronyme avait plus de classe, qu’il était plus digne de son milieu. Il préférait Boisseau à Huette ou Mirette, et Catherine à Gervaise…Elle fronça les sourcils… -Je regrette Nicolas, mais si mon nom ne te plait pas… -Écoute-moi bien…Gervaise, ça fait vieux, ça fait démodé…Ça me fait presque penser à Gerboise. -Qu’est-ce que c’est ? -Une gerboise, c’est un mammifère rongeur, une sorte de souris, si tu préfères, qui creuse des terriers…Rien d’élégant, comme tu peux voir… ».
Le troisième mépris de Nicolas : Gervaise elle-même et la grossesse qu’elle vient d’avoir. « Gervaise était restée figée sur le divan. À l’annonce de sa grossesse, Nicolas n’avait pas réagi, pas bougé d’un pouce. Puis, se levant, il arpenta la pièce en le regardant et elle en profita pour lui dire : -C’est comme si tu n’étais pas content…Ça te déçoit Nicolas ? (…) -Oui, je comprends, mais n’est-ce pas un peu tôt Gervaise ? Nous aurions pu attendre un an ou deux… »
Avec autant de mépris, qu’est ce qui le retient donc aussi fortement ? Car on ne peut pas aimer et mépriser ? C’est le corps, la prestance physique de cette fille de bas quartier. Ce qu’il n’a jamais rencontré dans son milieu : la dignité du pauvre et le respect pour autrui, quelle que soit sa différence.
En réalité, Gervaise est belle : « Il se contenta de sourire, avala quelques bouchées, et la regarda soulever son verre sur pied avec élégance. Dieu qu’elle était belle ! Des yeux noisette à rendre fou ! Un corps de déesse sous le veston détaché de son tailleur à la mode. Il pouvait deviner sa poitrine à travers la blouse de soie beige et ça le chavirait. Elle avait des doigts minces et longs comme ceux des musiciennes, les ongles polis, elle portait un bracelet garni de perles à chaque lobe d’oreilles. Des boucles qui allaient de pair avec le bracelet ».
La suite des mépris va finir par conduire le couple à la dérive, car si au début Gervaise va supporter par amour…plus tard, elle finira par ne rien supporter par amour… Elle aimera sans aliéner sa liberté. Elle se donnera sans nier ses origines…Elle sera enfin elle-même ! Alors qu’elle perd son bébé à la suite d’une altercation familiale, Gervaise se sent de plus en plus seule. Elle ne veut plus courir le risque de sacrifier son bonheur… Elle est plus révoltée que jamais.… Elle préfère s’éloigner de cette famille d’hypocrites, de cette « maison sans âme ».
Ce sera son choix. Décision Irrévocable. Malheureusement en vivant seule avec son mari, si l’objectif était de souder le lien, là tout va finir par s’étioler… Elle va découvrir qui est réellement celui qu’elle a épousé : « une personne capable de tout pour parvenir à ses fins. ».
Désormais ils vivent ensemble, chacun fête noël chez soi et dans sa famille. Il en est de même pour les anniversaires. Le couple tant heureux au début, ne partage plus rien : sauf quelques souvenirs. Il y a, en outre, le petit neveu de son Nicolas qui croit aimer Gervaise alors que celle-ci ne voit en lui que le portrait craché de son oncle du point de vue comportemental. Même origine, même esprit. Elle n’a plus rien à cirer avec cette famille. Petit à petit, Gervaise se recrée… Puis arrive le divorce. Gervaise accepte tout cela de bon cœur… Elle a toujours travaillé et, au niveau professionnel la vie lui sourit; elle est une femme indépendante. Elle travaillera…. Elle travaillera parce que son travail est le lieu de son épanouissement. Et c’est dans ce lieu de sa floraison qu’elle va rencontrer l’amour.
Qui a pu oublier Gervaise? Cette beauté et cette prestance physique et morale qu'elle toujours incarnée ? Une vieille connaissance rencontrée chez les Delval, devenu lui aussi veuf, va revenir dans sa vie… Il va lui redonner le sourire… la joie d'aimer… et la volonté d'avancer...
Inattendu ? Les voies de L’amour sont insondables.
Les moments qui ont fait battre mon cœur dans ce roman:
- La rencontre de Gervaise avec Nicolas Delval
-Cette façon que Nicolas avait d'exhiber Gervaise, partout où il allait, comme si elle était un diamant dont la valeur ne se limitait qu'à son physique. Rien que cela. On aurait dit que pour lui, l'important dans la vie d'une femme c'était son physique.
- La maman de Gervaise qui dépend encore de sa fille…une caricature qui tient bien sa place dans certaines sociétés encore aujourd’hui, où certaines maman ne vivant qu'aux dépens de leurs filles, financièrement.
- La perte du bébé. Le mépris de la famille Delval et les faux silences de Nicolas. Il y a des moments dans la vie, où on a besoin de l'épaule de l'autre.
La rencontre avec le juge : la différence d’âge m’a fait frémir : mais ne dit-on pas que l’amour n’a pas d’âge ?
La veuve du boulanger est un roman d’actualité qui dépeint, certes, la société d’il y a 60 ans, mais des réalités qui sont encore les nôtres aujourd’hui et qui ont pris divers noms : identité, vérité, diversité, multiculturalisme, religion ou simplement égalité, liberté et fraternité.
Tout en s’interrogeant, l’auteur nous interroge sur la question du rapport de l’humain à l’autre, à son semblable. Véritablement roman d’amour, ce roman est aussi un roman social. Bref, j’ai lu ce roman en une nuit…et j’ai aimé. De ce fait, je vous le recommande vivement.
Nathasha Pemba