
Pour sa première oeuvre littéraire éditée, Boris Mackayat a choisi le genre de la nouvelle. Je découvre donc ce jeune auteur gabonais âgé de moins de 20 ans dans “Le coeur qui a bu du sang”, recueil composé de cinq nouvelles publié aux Éditions La Doxa en juin 2018. Cinq nouvelles ou plutôt quatre nouvelles plus un hommage à son père. On y retrouve des thématiques diverses comme la sorcellerie, la stérilité, le délitement du lien familial, l'amour, la pauvreté… la jalousie. L’écrivain Boris Mackayat ancre ses nouvelles au Gabon, à Port-Gentil, à Mayoumba, à Libreville, mais aussi en Afrique du Sud, pays qu’il a eu l’occasion de visiter. Si l’oeuvre est une fiction, les histoires sont tirés de la vie quotidienne.
Le recueil commence avec la nouvelle “Owali” qui met à nue la misère d’une fille dépendante qui incarne la débauche et la misère sociale. Owali finit par sacrifier la liberté et l'autonomie de la femme sur l’autel de la débauche .
Cette nouvelle est une pépite qui se termine sur une chute géniale. Une réussite du point de vue des caractéristiques propres à la nouvelle.
La question de la stérilité masculine est un thème que l’on ne rencontre presque pas dans la littérature africaine. Boris Mackayat l’évoque sans tabou, avec les mots qu’il faut. La question est traitée dans la nouvelle “Un serpent dans mon lit” Dans cette nouvelle, il est question d’un amour fou entre Emmanuel et Laurianne: amour scolaire, ensuite amour-amour, puis mariage. Laurianne abandonne tout pour Emmanuel. Toutefois, l’on constate que l’amour ne semble pas assez fort pour que l’homme ose faire confiance à son épouse et lui confier ses soucis. Cet amour, ou disons ce faux amour revêtu désormais de la recherche d'honneurs rend Emmanuel fou au point de droguer son épouse pour la soumettre à un viol, juste pour ses honneurs. Honneurs qui feront certainement de lui un homme, un père aux yeux du monde alors qu’en réalité, il est stérile. Stérile, un adjectif pour femmes. En Afrique noire, un homme n’est jamais stérile. Encouragé par sa mère qui considère sa belle-fille, la fille de l'autre, comme une stérile, une moins que rien, Emmanuel va jusqu’au bout de sa logique… le suicide car il a compris qu’au stade où il est arrivé, il vaut mieux pour lui disparaître. Avant de se donner la mort, il décide d’écrire un mot à celle qu’il a aimé pour la dédouaner aux yeux de sa famille:
“ Tous les problèmes que nous avons eu pour avoir des enfants n’étaient pas de ta faute. Le problème ne venait pas de toi, mais de moi, je suis stérile (...) je n’ai jamais eu le courage de te le dire, encore moins de l’avouer à qui ce soit. Être un homme stérile dans notre société est honteux, je ne voulais pas faire face aux regards durs des gens ou encore être le sujet des moqueries des uns et des autres”
Au moment où Laurianne lit ce testament, elle ne peut plus rien faire. Il n’est plus là, le coeur a bu du sang.
Dans la nouvelle, “La mariée du pont”, une tragédie se dessine depuis le début. Une mère qui rejette sa fille. C’est le conflit mère-fille qui conduira la fille à la folie, non pas parce qu’elle l’aura cherché, mais parce qu’elle sera toujours étrangère à elle-même et étrangère aux autres. Sous l’emprise des puissances maléfiques et de la jalousie humaine, elle apportera la poisse à son entourage. Une histoire tragique qui nous conduit à réfléchir sur la qualité de l’amour. En effet, un amour raté produit toujours de mauvais fruits et détruit tout l’édifice émotionnel, affectif et relationnel.
Il est aussi à noter que Boris Mackayat peint de superbes portraits de femmes dans ce qu’elles peuvent avoir de beau ou de laid, du point de vue intérieur ou extérieur. En dehors de la nouvelle où il rend hommage à son père, toutes les nouvelles tournent autour de la femme. Ange et démon comme Owali; douce, fidèle et patiente comme Lauréanne, méchante comme la maman d’Emmanuel ou encore ultra méchante comme Alphonsine Simbou.
Comme je l’ai déjà dit ici sur mon blog, si j’aime les nouvelles, je suis consciente qu’écrire une chronique sur un recueil de nouvelles n’est pas du tout aisé. C’est pourquoi, en dehors des deux nouvelles mentionnées plus haut, j’invite chaque lecteur intéressé par l’oeuvre de ce jeune écrivain à se laisser guider par sa plume.
Bonne découverte,
Nathasha Pemba
Le Sanctuaire de la Culture