
Ernestine Nadia Mbakou est une écrivaine camerounaise. Elle est auteure de plus d’une dizaine d’ouvrages. L’amour ne traverse pas l’océan a été publié en 2020 aux éditions Shanaprod à Montréal.
Ce roman écrit sur 262 pages tourne autour des thèmes de l’amour, de l’immigration, de la grossophobie et de la haine. C’est un roman-suspense. On y retrouve des questions de départ à partir d’un pays d’Afrique subsaharienne et d’arrivée en Italie. Une arrivée précédée de péripéties.
Le roman d’Ernestine Nadia Mbakou est très mémorable : la rencontre de deux personnes que tout sépare. Ruben, svelte, beau, intelligent, séduisant et Mira, grosse et pas très jolie. Les deux habitent à Douala et s’aiment d’un amour fort si fort au point où ils se promettent fidélité jusqu’à la mort. On ne s’aime jamais à égalité, n’est-ce pas ?
Pourtant la réciprocité demeure l'un des critères de l'amour...
Si l’on s’en tient à l’intrique telle que décrite dans le roman, Mira est celle qui aime le plus Ruben. Elle se sacrifie beaucoup pour que Ruben soit heureux. Elle cumule deux jobs pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fiancé, jusqu’au jour où ce dernier vient lui faire part de son désir d’immigrer puisque le Cameroun ne lui offre aucune garantie que le soleil brillera pour lui un jour.
Je tiendrai ma promesse Mira, je reviendrai pour toi, je me battrai pour te faire voyager. Je ne suis pas prêt à te laisser tomber. Je ne suis pas prêt à t'oublier. Tu es la meilleure chose qui me soit arrivée dans la vie. Je me coucherai avec ton image et je me lèverai avec ton sourire. La force de notre amour me tiendra debout. la force de nos baisers me tiendra éveillé. Nos corps enchevêtrés resteront mon plus beau souvenir. Je respirerai ton odeur. Je sentirai ton inquiétude et je m'abreuverai à la source de ton coeur
Mira très opposée à cette décision, respecte tout de même le choix de Ruben, en étant consciente que c’est elle la pourvoyeuse principale de ce voyage. Ruben est issu d’une famille pauvre.
De Douala en Lybie, Ruben risque tout et même la vie.
Au Tchad, se trouvant dans un état comateux, Ruben est abandonné par ses amis et fait la connaissance de Laïla, une fille originaire du Niger qui prend soin de lui. Pour lui faciliter la tâche, elle se fait passer pour son épouse et lui enseigne l’arabe pour qu’il s’assimile aux hommes du milieu. À force de vivre ensemble et de dormir dans la même chambre, ils finissent par avoir des rapports sexuels. Laïla tombe enceinte. Malheureusement, elle meurt après les couches.
Traumatisé, Ruben devient alors le premier responsable de sa fille. Il lui donne le prénom de Laïla en souvenir de sa mère.
En Lybie, Ruben rencontre Julien, un Camerounais qui craint de devenir esclave, et préfère rentrer au pays. Ruben lui confie Laïla et écrit une longue lettre à Mira restée au Cameroun pour la supplier de s’occuper de l’enfant.
Quand Ruben arrive en Italie, ils sont 50 rescapés. Conscient de son charme, il va jouer les séducteurs pour attirer l’avocate en charge de son dossier, dans ses filets. Elle tombe amoureuse de lui. Ils se marient et finissent par divorcer quelques années plus tard. Curieusement, Mira n’est plus à l’ordre du jour. En effet, son divorce prononcé, Ruben convole en noces avec une Suisse qui habite, croit-il, son cœur.
Dix ans après, Ruben voyage vers le Cameroun…
Comme dans la plupart des romans autour de l’immigration clandestine, il y a, au commencement, la situation dans le pays de départ, les promesses que l’on ne tient pas dans la plupart des cas, l’imprévu, l’étrangeté, les difficultés d’insertion ou encore l’errance à vie bien qu’on ait foulé la terre promise.
Le roman d'Ernestine Nadia Mbakou ne se limite pas à la description de l’immigration. Il soulève plusieurs questions comme celle de la grossophobie où, avoir un poids plus élevé que de coutume fait de Mira la risée de son entourage. Ce complexe finira par lui faire réaliser des régimes continuels qui la conduiront parfois à se détester.
Ruben qui voit sa situation se régulariser dans les plus brefs délais devient affamé et assoiffé de toute sorte de pouvoir. La cupidité et la violence finiront par le clouer. Au moment où il revient vers son amour d’enfance, plus personne ne semble vouloir de lui. Charmeur de nature, il pense encore gagner le cœur de Mira… À quel prix ? L'amour ne coûte ni un franc ni un million... Il n' a malheureusement pas de prix, le bonheur non plus, puisqu'apparemment Ruben est devenu riche, mais ne semble pas heureux.
Ruben se mit à faire les cent pas, il ne comprenait pas. Ça n'allait pas du tout. Il ne parvenait pas à mettre la main dessus, mais il était toujours insatisfait. Il était en quête de quelque chose d'impossible à trouver, d'insaisissable. La seule période de sa vie où il s'était trouvé vraiment heureux était lorsqu'il était avec Mira.
La fin du roman est une tragédie, un coup de théâtre criminel que je vous laisse découvrir…
L’amour ne traverse pas l’océan accorde au lecteur une place essentielle. Une place qui n’est pas celle d’un simple spectateur, mais celle d’un acteur car chacun de nous, dans son entourage, rencontre certainement des questions de mésestime de soi où les personnes ont du mal à s’assumer ou assumer leur condition de vie; des questions où l’on pense que l’herbe est toujours verte ailleurs. L'emboîtement des récits, la coïncidence d’humanités, la diversité des personnages interpellent et conduisent à l’engagement d’une manière ou d’une autre. Ernestine Nadia Mbakou relie la subjectivité du lecteur à son objectivité : il y a des moments dans la vie où observer ne suffit plus.Il faut tourner la page...
Nathasha Pemba
Références :
Ernestine Nadia Mbakou, L'amour ne traverse pas l'océan, Montréal, Shanaprod, 2020, 20 $CAN