Copeaux de Mishka Lavigne est la première œuvre théâtrale que nous lisons au Sanctuaire de la Culture. C’est probablement cet aspect qui rend exaltante cette lecture.
Avant de commencer l’analyse de cette pièce, rappelons que Mishka est une auteure et artiste de théâtre et traductrice canadienne. Elle est artiste de théâtre et il est possible de considérer comme une continuité, de son engagement artistique, la rédaction de cette œuvre. Sa pièce de théâtre vise essentiellement à mettre en exergue le vécu quotidien d’un couple qui s’est installé dans la routine et dont les liens se délitent peu à peu.
L’action, courant sur trois moments, se déroule entre un homme et une femme qui discutent, réfléchissent, évoquent le passé, le présent. Le couple dialogue au sujet de leur amour vécu avec toute l’ardeur possible. Il évoque aussi les frustrations. Les souvenirs refont surface. Plusieurs réalités sont évoquées. Il y a par exemple le fait de ne plus se reconnaître, de ne plus savoir qui on est au fil de la relation qui a perdu tout son sens :
Elle :
je me regarde et je me reconnais plus
je me regarde et je sais pas qui se trouve là
devant moi
je me regarde et je fonds
goutte goutte goutte
de la glace au soleil
même le soleil des jours les plus froid
Elle et Lui, les deux personnages, discutent, parlent de leur ressenti, de leur besoin interne. La pièce examine la dimension salvatrice d’une rupture parce que rompre ce n’est pas toujours devenir ennemis ou encore sombrer. Elle souligne le caractère essentiel de la rencontre qui permet à chaque personne de mieux se connaître et de mieux connaître autrui. Vivre sa vie et respecter autrui sans se mépriser permet de reconnaître la relation comme une valeur intersubjective. L’auteur réussit à faire passer l’idée que la solitude (non pas l’isolement) est une belle chose, mais aussi que la rencontre est essentielle à la connaissance de nous-même. Elle rappelle ce qu’écrivait déjà Jean Paul Sartre dans l’Être et le néant : « Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même ». Non pas qu’autrui me détermine, mais que nos relations nous marquent d’une certaine manière et nous aident à mieux avancer.
Les relations peuvent être considérées dans cette pièce de théâtre comme un acte de conscience. Au départ, Elle évoque le besoin de solitude, le besoin d’ancrage en soi, le besoin de rencontre de soi :
Je voulais pas entendre ta voix. Je voulais pas lire tes messages. Je voulais pas voir les mots qui me ramènent à toi. Je voulais pas penser à toi. Sentir que tu m’attendais. Sentir que je te manquais. Je voulais être toute seule. Je voulais être complètement toute seule avec moi-même pour me convaincre que j’étais encore capable. Pour me convaincre que je suis encore moi loin de toi.
Elle et Lui sont dans cette œuvre les héros de l’intersubjectivité positive. Jetés dans le monde, relationnels, libres, ouverts, ils sont capables de penser la relation sous un angle qui permettent d’avancer. Ils pensent que les relations peuvent donner un sens à une vie, à toute vie. Mishka Lavigne pose dans cette pièce un acte essentiel dans le domaine de la dramaturgie. Prendre conscience du moment où plus rien ne va permet de se donner une autre possibilité. La rupture peut être le début d’une belle aventure relationnelle avec soi-même.
D’autrui à soi, Elle et Lui acceptant leur condition humaine et relationnelle, permet de donner à la pièce Copeaux toute sa force et toute son essentialité. Copeaux nous apprend donc que chaque relation est une possibilité, que l’enfer n’est pas toujours les autres, car les autres peuvent être un paradis pour soi-même, que la conscience de soi ne s’acquiert pas de manière solipsiste, mais par le biais d’autrui, que la connaissance de soi implique deux mouvements : de nous vers je. Il s’agit juste de savoir guetter l’essentiel et le construire (ou le reconstruire). Cet enseignement me paraît évident dans notre société actuelle qui a tendance à absolutiser le Moi parfois au détriment du nous.
Nathasha Pemba
Références:
Mishka Lavigne, Copeaux, Ottawa, L'interligne, 2020.