Si la publication d’Itinéraire bis, recueil de sept nouvelles (plus un poème) initialement publiées dans des ouvrages antérieurs est l’occasion de (re) découvrir la plume de Marien Fauney Ngombé, elle est aussi certainement le signe d’une réaffirmation pour ne pas dire confirmation de ce besoin de transmettre qui fait partie de l’ADN de cet auteur franco-congolais. Toutes ces nouvelles autant qu’elles sont réparties dans le recueil sont particulièrement unes, mais différentes et portent une attention particulière sur le sens de la musique, une passion de l’auteur. En plus de la dernière nouvelle qui est un hommage à Franklin Boukaka, la première nouvelle, un texte d’initiation à la vie rend compte de l’importance que revêt la musique dans le parcours du narrateur. Cette nouvelle intitulée Chronique de mon train de 7 h 51 dévoile la routine du narrateur, son travail, son lien avec les lieux, ses réflexions profondes sur les personnes qu’il rencontre.
À cet instant, je voulais définitivement me lancer dans la vente de disques. Ma passion de toujours. D’ailleurs, si j’ai pu supporter cette vie réglée comme du papier à musique, c’est grâce à la musique qui finalement m’a permis tant d’évasions. La musique, les disques étaient mes fidèles compagnons. Présents pour les moments de liesse et les moments de tristesse. Ils ne manquaient jamais à l’appel, comme disait Brassens. Ils méritaient bien que je leur consacre au moins une vie entière.
Le thème de la musique revient dans d’autres nouvelles comme La guitare D’Iyogbé. Les quatre autres nouvelles du recueil voient s’entrelacer les destinées de différentes personnes, des destinées banales marquées soient par une rencontre, soit par un drame, soit par un plat que l’on découvre ou ou savoure. Ce sont d’éphémères instants de grâce, de ceux qui font que, même au milieu de certaines réalités rocambolesques, la vie doit toujours avoir un sens et mérite d’être vécue. Chaque personnage de chaque nouvelle prend place et joue son rôle.
Histoires de jeunes étudiants ou professionnels immigrés qui tournent parfois à l’étonnement, à l'engagement, à la prise de conscience ou au regret, histoires de la relation avec les médias sociaux, histoires de familles, histoires d’amitié, histoires de saveurs culinaires, histoires de colonisations et d’indépendances ou de résistances, histoires d’une passion pour la musique. L’omniprésence dans les histoires de Marien Fauney Ngombé de l’art musical est certainement la plus fascinante allégorie de ce lien qui l’unit à cet art. Un lien sacré et ineffable. Une réaction à cet état de fait, est la passion de l’art, le refus de s’enfermer dans un cadre déterminé, la valorisation de l’essentiel… le goût de l’évasion. Malgré les désirs ou la volonté de se conformer à la société, les personnages de ces nouvelles s’offrent des possibilités d’emprunter d’autres chemins pour tenter d’être ce qu’ils doivent être et non pas simplement ce que le monde leur impose d’être, on subtilise quelques instants de bonheur ou la possibilité de renverser l’ordre établi, de résister, ne serait-ce que passagèrement. Certains rêves se heurtent à la réalité. On retiendra particulièrement le désir effroyable de résister dans la nouvelle Le bûcheron de Boya, où la dignité ne se monnaye pas.
Confusion. Damnation.
Le sanglot du captif de Robben Island rejoint le concert des
voix des mutilés,
décapités, lacérés, poignardés
Madiba se retourne dans sa dernière demeure à Qunu et
empoigne son cœur pour taire sa douleur
Madiba cogne sur les parois de son cercueil fait du bois du
sacrifice pour faire entendre sa voix
Madiba à l’étroit tente une esquisse de pas de danse pour
réveiller les belles âmes zulu xhosa ndembele
Autant d’histoires qui encerclent l’unique poème du recueil : Le repos de Madiba dénonce une fâcheuse chasse à l’homme entre xénophobies et folies. On discerne aussi là comme les valeurs de Marien Fauney Ngombé et on retrouve une grande partie des artisans de la paix et des héros sud-africains : Makeba, Brink, Desmon Tutu, Mandela. Tout chez l’auteur est ainsi incisif, mais décisif, et, surtout, toujours d’une grande justesse. Chaque mot est jaugé. C’est ce qui, à mon sens, fait la grande richesse de ce formidable recueil.
Nathasha Pemba
Marien Fauney Ngombé, Itinéraire bis, Paris, So’Ed, 2021.