Destin Akpo, encore appelé Destin Mahulolo, est un fervent amoureux de la littérature. Actuellement prêtre du diocèse de Lokossa, au Bénin, il est le promoteur du blog littéraire « Biscottes Littéraires » qui, créé en 2017, s’est donné pour principal objectif de promouvoir la littérature africaine francophone notamment. En 2021, il a publié aux Éditions Savanes du continent, un recueil de nouvelles intitulé À toi qui t’en vas et un roman : Colorant Félix. Avec ce roman, l’écrivain béninois est finaliste du Prix Orange du Livre en Afrique 2022.
Bonjour Destin, merci d’être des nôtres le temps de cet échange. Comment allez-vous ?
DA : Bonjour cher Noah. Je vais bien.
Destin Mahulolo, Destin Akpo… Comment doit-on vous appeler finalement ?
DA : Sourire. Il s’agit toujours de moi, quelle que soit la formule que vous choisissez pour me désigner.
Alors, qui est Destin Mahulolo ?
DA : J’aime me définir comme un apprenti lecteur. Toute la création est un livre ouvert. Et c’est dans la mesure où nous savons faire silence en nous-même pour recueillir les flots de paroles dont ruisselle ce livre que nous pourrons apprendre à donner progressivement sens à notre histoire. Tout le créer nous dit quelque chose de notre destin. À nous de trouver du temps pour lire, au-delà de ce qui s’offre à nos sens, le message que nous propose la nature. C’est un exercice de chaque instant, de tous les instants. Voilà pourquoi je me définis comme apprenti lecteur. L’apprenti apprend avec patience, avec humilité, sans prétention ni préjugé.
Prêtre du diocèse de Lokossa au Bénin, vous êtes connu pour votre amour inconditionnel pour la littérature. Pourriez-vous nous dire quand et comment est née cette idylle avec la littérature ?
DA : Fils d’instituteur, très tôt j’ai été mis en contact avec les livres. Et déjà au cours primaire, j’avais un amour particulier pour la langue française. Mon père étant affecté dans le nord du Bénin, il me revenait de lui donner périodiquement les nouvelles de la famille. Le petit scribe que j’étais servait de liaison entre mes parents séparés par la distance. Ma grand-mère maternelle sollicitait aussi mes services, moyennant quelques beignets et pièces d’argent. Je l’écoutais en Saxwè et je transcrivais en français ce qu’elle me disait. C’était pour moi un exercice plaisant puisque j’apprenais de nouveaux mots dans ma langue maternelle. Ma mère, qui n’est jamais allée à l’école du Blanc, à la faveur d’une campagne d’alphabétisation organisée à l’église du village, apprit à lire et à écrire le Mina, langue liturgique du diocèse de Lokossa. Le soir, pendant qu’elle révisait ses cours, je m’asseyais à côté d’elle et elle m’enseignait le Mina. Elle se procura le Nouveau Testament et les Psaumes en Mina et chaque soir, il fallait lire un passage biblique avant de dormir. Nous avions aussi des cassettes Aluwasio accompagnées des brochures contenant les chants liturgiques. Pendant que la radio jouait les chants, nos yeux étaient fixés sur les textes dans les brochures. Les chants étaient à la fois en Mina et en Adja. Si mon père m’a appris à former mes premières lettres de l’alphabet, je dois à ma mère mon initiation à la lecture du Mina et de l’Adja. Je me plais souvent à dire que je suis le fruit de ma terre puisque ces langues ne m’ont jamais quitté. Autant je me présente comme locuteur français, autant je me définis comme ayant appris très tôt à écrire et à lire les langues parlées autour de moi. Vous comprenez que la littérature pour moi n’est pas qu’une rencontre avec la langue française, mais une immersion dans le bouillon linguistique Saxwè, Mina et Adja. Arrivé au collège, j’ai eu de très bons professeurs de français qui m’ont fait aimer davantage la littérature. Avec les camarades de classe à Lokossa, nous avons créé un club de lecture en 2003 dénommé « Littérature Espoir ». Chaque vendredi après-midi, un membre devait exposer un livre. Tout ceci se déroulait dans les locaux de la bibliothèque départementale du Mono. Plus tard, j’ai été nommé bibliothécaire dans les différents séminaires qui m’ont formé au sacerdoce.
Votre passion pour la littérature vous a conduit à la création du blog « Biscottes Littéraires » qui, depuis 2017, a fait de la promotion des Lettres africaines son credo. Est-ce qu’on peut savoir dans quelles conditions ce blog a été créé ?
DA : « Biscottes Littéraires », c’est le fruit de la folie de sept jeunes qui ont estimé qu’Internet était le lieu idéal pour rendre davantage présentes les œuvres littéraires de chez nous. Nous avons compris que pour exister aujourd’hui, il faut produire et publier. Alors nous nous sommes constitués en équipe et depuis cinq ans, l’aventure se poursuit. Volontiers, je cite ici ce que nous écrivions sur le blog il y a cinq en guise de présentation générale :
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Contexte de réalisation et motivation
L’Afrique en général et le Bénin en particulier dispose d’une richesse littéraire infinie et dont la grande majorité reste inexploitée dans son ensemble. Force est de constater qu’une grande majorité des jeunes internautes se sentent exclus des nombreuses publications qui parcourent les blogs actuels. Ils ne voient pas leurs intérêts portés en lumière ou ne peuvent pas s’exprimer sur leur parcours ou leurs lectures. Ce blog sera un tremplin pour l’éclosion du savoir tel que nous le percevons dans les livres. Internet, outil permanent de communication, sera disciple de cette nouvelle manière de découvrir la littérature africaine et du monde avec nos amis internautes. Des blogs littéraires, il en existe déjà. Mais dans un univers en perpétuel mouvement, en constante inspiration, nous souhaitons faire découvrir aux jeunes, aux lecteurs et à tout passionné de littérature, les nouvelles littéraires, les chroniques, des lectures d’œuvres contemporaines et actuelles. Atteindre le plus grand nombre dans un esprit de partage à travers des photos, vidéos, titrages, avis et textes reste notre motivation première.
Objectifs
- Permettre une proximité et un partage d’idées avec tous les lecteurs, des plus jeunes aux expérimentés de la chose livresque
- Avoir une vue permanente sur l’évolution de l’actualité littéraire au Bénin, en Afrique et dans le monde.
- Échanger sur des sujets essentiels à l’éclosion et à l’épanouissement des talents
- Partager et apprécier les différentes œuvres lues par le ou les animateurs du blog.[1]
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Après de cinq ans d’existence, avez-vous atteint les objectifs fixés au début ?
DA : Nous continuons de nous battre et de rester fidèles à nos engagements. Au bout de cinq ans, nous avons réalisé que les jeunes lisent, contrairement à ce qui se dit. Nous sommes parvenus à la conclusion selon laquelle lorsqu’on crée les conditions idoines, les jeunes lisent aisément. Il suffit de faire un tour sur le blog pour constater la variété des auteurs qui animent les différentes rubriques. Les jeunes sont une chance pour notre littérature, il suffit de savoir les prendre. Le management est un facteur capital.
C’est en 2021 que vous marquez votre entrée dans le cercle fermé des écrivains, avec la publication de deux livres parus aux Éditions Savanes du continent, au Bénin. Il s’agit d’un recueil de nouvelles intitulé À toi qui t’en vas et d’un roman : Colorant Félix . Nous sommes curieux de savoir comment a pris forme l’écriture de chacun de ces textes.
DA : Le recueil de nouvelles À toi qui t’en vas est un hommage à un de mes anciens élèves, Christian Fanoudan, qui nous a quittés il y a bientôt trois ans. Le roman, Colorant Félix , est une aventure commencée en 2020, pendant ce que nous avons appelé « le confinement ». Ce que je prenais juste pour une blague, un passe-temps, une fenêtre ouverte sur monde pour échapper à la dictature et à la conjoncture du confinement est devenu un roman qui continue de me surprendre.
Comment jugez-vous l’accueil qui leur a été réservé ?
DA : Mes œuvres ont été bien accueillies par les lecteurs. En témoigne l’engouement des uns et des autres à en rendre compte sur Facebook et même dans des groupes WhatsApp. Je suis simplement sidéré et je ne cesse de manifester ma reconnaissance à tous ces lecteurs qui se procurent mes ouvrages, les lisent et publient leurs notes de lecture en incitant les autres à les imiter. C’est formidable. Sans eux, Colorant Félix et À toi qui t’en vas n’auraient jamais connu ce rayonnement qui nous honore tous.
Colorant Félix fait partie des six finalistes du Prix Orange du Livre en Afrique 2022. Tout en rappelant que pour cette quatrième édition, 57 livres étaient en lice au départ. Quelles sont vos impressions après ce succès à mi-parcours que connait votre premier roman ?
DA : J’étais en route pour Azové et Dogbo pour parler de mes œuvres aux apprenants quand la nouvelle m’est parvenue. Mon éditeur m’appelle et me demande de consulter mes courriels. Je tombe sur la nouvelle. Je relis plusieurs fois le message. Je le rappelle pour être sûr qu’il ne s’agit pas d’une farce. Les jours qui ont suivi m’ont convaincu que Colorant Félix était effectivement finaliste du Prix Orange du Livre en Afrique 2022. L’effet surprise demeure toujours. Tout le mérite revient aux internautes qui ont suscité ce livre et qui ont été logiques envers eux-mêmes en le vulgarisant. Je salue le professionnalisme de mon éditeur, Rodrigue ATCHAHOUE, le Directeur des Éditions Savanes du Continent, qui a cru en moi et en Colorant Félix en proposant que nous participions à ce prix littéraire.
Vous y présentez une Afrique paisible et conviviale avant l’arrivée du Coronavirus, ce fameux « colorant » qui vient brouiller la joie de vivre, le bonheur (Félix) des populations qui ont pris l’habitude de se retrouver sous l’arbre à palabres pour manger, boire et se raconter des histoires aussi hilarantes que saugrenues. Je vous laisse le soin de nous en dire plus sur l’implicite de ce titre.
DA : Votre herméneutique ouvre des horizons que je n’avais pas imaginés en écrivant ce roman et en lui donnant ce titre. Je crois que nous gagnerons à vous laisser poursuivre votre exploration sémantique. (Sourire)
Comment expliquez-vous cette fixation sur le sodabi, cet alcool prisé par les « palabreurs » ?
DA : Je ne parlerai pas de fixation sur le Soɖabi. Si fixation il y a, il faudrait la situer du côté de la parole. Colorant Félix s’est servi d’un prétexte, le Soɖabi, pour redonner vie à la parole proférée sous l’arbre à palabres. Dans un monde hyperdigitalisé où l’individu se dilue dans le néant, il fallait un retour aux origines, un retour à la contemplation et à la vénération de la Parole, du Verbe fondateur et créateur. Il fallait dire qui nous sommes. J’avais en arrière-fond cette voix : écrire, décrire l’Afrique. Pas à partir du prisme classique occidental. Mais de l’intérieur. Ramener la francophonie sous l’arbre à palabres et lui rappeler d’où viennent ces gorges qui manient parfois mieux le français que les Français et ce, malheureusement, à bien des égards, au grand dam de la sagesse africaine. Je voulais créer la rencontre entre l’Afrique des profondeurs qui résiste encore à l’envahissement psychologique de l’Occident et cet Occident qui, malgré son rationalisme aigu et ses technologies, ne s’explique pas toujours tous les mystères de l’être. C’est de ce côté, il me semble, qu’il faudrait plutôt situer la fixation.
Ce roman, qui témoigne de votre sens élevé de l’humour, évoque des préoccupations ancrées dans nos sociétés contemporaines. Comme pour dire que la littérature « corrige les mœurs en riant » ?
DA : Absolument ! Je n’imagine pas le monde, la vie, sans l’humour. Une vie sans humour est certainement un boulet à traîner, un enfer à vivre. Chez moi on dit ceci : « Rien n’est difficile à affirmer à celui qui a dans sa bouche une langue qui rit et qui sait fait rire. »
cause de votre phrasé essentiellement africain et de votre recours à l’oralité, Ricardo Akpo, dans sa critique sur Colorant Félix, vous place comme « le Amadou Kourouma de cette littérature béninoise en plein essor ». Qu’en dites-vous ?
DA : Nous allons convoquer sous l’arbre à palabres l’auteur de cette déclaration pour qu’il puisse s’en expliquer. Rire
Finalement, le Coronavirus n’a pas été que négatif s’il vous a inspiré et vous a permis d’avoir le temps nécessaire, pendant que vous étiez confiné, pour écrire cette œuvre…
DA : Ce livre ne représente rien devant l’immensité des dégâts causés par ce funeste mal. En l’écrivant, je faisais mienne cette pensée de Max Gallo dans le Pacte des assassins : « J’écris pour qu’on ne puisse pas ensevelir les morts sous le silence et les assassiner ainsi une nouvelle fois. J’écris pour qu’ils revivent un jour. »
Après À toi qui t’en vas et Colorant Félix, what next ?
DA : Wait and see !
Merci Destin, et bon vent pour la suite !
DA : Merci cher Noah pour ce bel entretien. Merci pour tout ce que vous faites de jour comme de nuit pour que vivent les lettres chez nous. Merci à toutes ces âmes généreuses qui me lisent et recommandent mes livres. Ce sont elles qui donnent vie et visage à mes livres. Ce sont elles qui font de moi l’auteur que je suis. S’il y a des auteurs, c’est aussi parce qu’il y a des lecteurs. Voilà pourquoi je n’aurai jamais de cesse de les remercier pour le chemin que nous faisons ensemble. Je prie Dieu de les garder du Mal et du Mauvais.
Boris Noah