Née au Congo Brazzaville, Doctrovée Bansimba est une artiste et peintre congolaise. Elle a reçu le Premier prix de peinture à l'issue des Premières Rencontres Internationales d'Art Contemporain des Ateliers Sahm en 2013. Elle est aussi récipiendaire du Sanza de Mfoa 2016. Elle a réalisé un portrait de Serge Gainsbourg à l'occasion de la célébration du vingtième anniversaire de la mort de l'artiste sur le mur de sa maison.
Juvénale Obili s’est entretenue avec elle pour le compte du Sanctuaire de la Culture.
1-Bonjour Doctrovée. Merci d'avoir accepté de répondre à nos questions. S’il faut retracer ton parcours, que dirais-tu? Es-tu une femme qui se sent investie par une mission ? Quels sont les moments forts de ton parcours d'artiste ?
Tout a commencé par le gribouillis de l’école maternelle, ensuite par des dessins au sol sous forme de contes ainsi que le modelage d’argile au bord du Djoué. Il y a aussi eu les moments où je récupérais des petits objets ça et là : les chutes de tissus et les poupées qui finissaient par être brûlées par ma mère. L’envie d’en faire un peu plus se transformait en une joie inexplicable où se se rendre utile devenait comme un appel. Je réalisais des « Morceaux choisis » d’entrée en classe de sixième pour les autres alors que je n'étais qu'au CM1. Au collège je rêvais de faire les Beaux-Arts après le B.E.P.C, malgré l’opposition de l’autorité parentale. Cependant, je peignais les murs des maisons, et dessinais sur les murs des boutiques … les bouteilles de jus, des morceaux de viande, des tranches de saucisson. C'était une sorte de Street art commercial. J'ai fait cela jusqu’au lycée. Enfin, après l’obtention du baccalauréat en 2006, j'ai fait à la fois l’École Nationale des Beaux-Arts et l'Académie des Beaux-Arts de Brazzaville de 2007 à 2011. Ajoutant des expériences en ateliers auprès d'anciens de la scène artistique congolaise comme Rémy Mongo Etsion le sculpteur, et un certain maître Shims . À partir de 2012 j’ai enchaîné résidences de création, rencontres internationales, ateliers et récompenses. Lorsque je suis en face d’un support vide, et que j’ai une pensée en accord avec mon état d’âme fusionnant avec mes instruments de prédilection , rendre palpable une vie comprise dans une autre qui au départ n’était qu’une simple pensée ,sourire la naissance de cette œuvre qui vie, sourit et fait cogiter les autres ,c’est ça ma mission et mes moments les plus forts .
3- Tu es une artiste. En quoi consiste ton art ? Quel regard portes-tu sur l’art congolais ?
Je chante la poésie du monde : celle d’Afrique et d’ailleurs, je déclame la succession des vers : vers de douleur, douleur de soi douleur de l’autre, les vers de rites, d’étreinte, de barrière, du regard de l’autre, de toute sorte de guerre ,de cette guerre qui ne se vit pas seulement à travers les crépitements des armes, je déclame les vers de la nature, nature de l’homme, nature de… mon art est aussi une forme de thérapie pour moi. L’art congolais est riche, il mérite que l’on retrace son histoire et qu’on en fasse un programme pédagogique.
4- Quelle est ta relation avec le pinceau ? Combien de tableaux à ton actif ? Où peut-on les trouver ? As-tu déjà participé à une exposition ?
J’ai pas mal d’œuvres, et j’entretiens une forte relation avec mon pinceau. J’ai participé à quelques expositions un peu partout, à Brazzaville, à Kinshasa, à la biennale Dak'art avec les ateliers Sahm, en France à Paris , en Suisse. J’ai exposé à Londres 1:54 Contemporary African Art Fair avec Barthélémy Toguo ; à Vienne, et ça continue…
5- Être une femme et artiste, qu'est-ce que cela représente au quotidien dans une société où la femme a encore du mal à faire valoir ses compétences .
Je suis une femme oui et ça se voit, par contre dans le contexte du travail, je me définis comme artiste tout court. J’aime bien cette pensée d'Indira Gandhi : « il y a deux genres de personnes, ceux qui font le travail et ceux qui prennent le crédit. Tentez d’être du premier groupe ; il y a moins de compétition » . Alors il suffit juste de travailler comme il se doit pour s’affirmer, trouver sa place... voilà.
6- Sur le plan humanitaire, y a –t-il une cause qui te tient le plus à cœur ?
Protéger les enfants contre toutes les formes d’exploitation et de violence surtout ceux qui sont abandonnés à eux-mêmes dans tous les coins des rues, leur donner l’accès à une éducation et une formation de qualité, répondre à leurs besoins vitaux (la santé, la nutrition, l’eau, et assainir leur environnement), favoriser gratuitement la scolarisation des personnes en conditions de handicap.
7- Si Doctorovée était Ministre de la culture, quelle serait sa priorité ?
Je me sens très bien dans ma peau d’artiste qui est aussi celle d’un ambassadeur de la culture, donc être ministre ne m’a jamais traversé l’esprit. Par contre en tant qu'artiste je demanderais ou peut-être, proposerais à ceux qui ont la possibilité de l’être de prendre exemple sur les autres: Juger l’art et l’artiste de son pays à sa juste valeur, lui donner une grande visibilité, favoriser les échanges culturels, donner l’opportunité aux artistes d’aller faire découvrir leur art et découvrir celui des autres ; créer des sérieuses activités culturelles, des espaces favorables d’expression pour artistes, des musées, et tout ça pour de vrai. Préserver précieusement son patrimoine culturel, et surtout d’arrêter de transformer les salles de cinéma et autres en une sorte de Super market ou d’église, pour un perpétuel épanouissement et développement.
8- En 2006 après l'obtention de ton BAC, tu as préféré vivre ta passion en dépit de la volonté des parents. Y a t-il un parallélisme entre l'engagement et la passion artistique ?
Lorsque l’on a la chose en soi, et qu’on est destiné précisément à cette chose, la passion prend le dessus de tout engagement. Ce qui m’inspire le plus c’est tout ce qui nous entoure, le mystère de l’univers.
10- Qu’est-ce que l’art t’apporte de plus dans la vie ?
Qu’est-ce que l’art m’apporte de plus dans ma vie ? Waouh ! Je vis l’art je respire l’art, je rêve l’art, je pleure l’art, je danse l’art, je souris l’art, je baigne l'art, je vois l’art, je transpire l’art, je déclame l’art, je mange l’art, je chante et bouge l’art, je crie l’art, je discute l’art, je dors l’art, je me lève l’art, je marche l’art, et l’art c’est toute ma vie.
11- Quel est ton rêve pour la jeunesse congolaise ?
Que cette jeunesse soit celle qui baigne dans une potion pour se cultiver continuellement pour un meilleur lendemain.
Juvénale Obili et Doctrovée Bansimba